Témoignage - Caroline

C’est l’anéantissement total. Le cauchemar venait de commencer, et depuis, je n’ai plus fermé l’œil, je n’ai plus jamais réussi à dormir (...) la cupidité de certains a détruit des centaines de vie.

Mère célibataire de deux enfants (alors âgés de 11 et 13 ans) et médecin exerçant dans un établissement de santé de la région PACA, Caroline entend parler pour la première fois d’Apollonia début 2006, par l’intermédiaire de sa sœur et de son frère. « Un autre médecin leur avait présenté avec beaucoup d’enthousiasme le projet d’investissement et ils allaient se lancer. Souffrant de problèmes à la jambe, cela pouvait être pour moi l’occasion de prendre une retraite anticipée. »

Au printemps 2006, elle est contactée par les secrétaires de Jean Badache, dirigeant de la société Apollonia, et François Mélis, l’un de ses collaborateurs. « Elles étaient très pressantes, elles me disaient que mon dossier avait été choisi, qu’il ne fallait pas que je passe à côté de cette opportunité unique, etc. Puis elles m‘ont indiqué que je devais aller rapidement dans leurs locaux à Aix-en-Provence pour signer les papiers et enclencher l’ouverture du dossier. » Elle se rend sur place fin mai.  « J’y ai passé deux heures, j’ai rencontré les dirigeants de la société, Messieurs Badache et Mélis. Ils parlaient sans interruption, en me décrivant en grande largeur leur train de vie et leur activité dans l’agence Apollonia. Jean Badache me raconte son affaire en deux mots et sa vie en mille mots. La pièce est grande, glaciale, la climatisation est trop forte, j’ai du mal à suivre leur discours. J’ai signé les documents et je suis partie sans m’interroger, certaine d’avoir fait le bon choix. Après coup, je me rends compte que tout cela était très malsain et calculé de leur part. » Avant de quitter les lieux, les deux hommes l’informent qu’elle devra rencontrer le notaire, Maître Brines, dans les deux semaines qui suivent pour signer la procuration. Or, durant cette période, elle a programmé une opération pour sa jambe, qui doit être suivie de plusieurs semaines d’hospitalisation, à Briançon. La réponse de François Mélis est abrupte, sans appel : « Il m’a dit que c’était indispensable, qu’il monterait en voiture avec le notaire jusqu’à Briançon. Ils avaient donc dans l’idée de faire près de 6 heures de route aller-retour pour me faire signer de nouveaux documents… »Elle rentre chez elle, préoccupée par cette intervention chirurgicale et l’organisation à mettre en place pour ses enfants en son absence et oublie Apollonia.

Comme annoncé, Caroline reçoit la visite de Monsieur Mélis et Maître Brines le 15 juin 2006 dans sa chambre d’hôpital, à 230 km d’Aix-en-Provence et du siège d’Apollonia. Très fatiguée, anémique et sous effet d’antalgiques morphiniques puissants, ils lui font signer cinq procurations (alors qu’initialement une seule était prévue) ainsi qu’un chèque pour les honoraires du notaire et « quelques autres chèques d’ouverture de compte ». « J’étais enveloppée dans un brouillard, je ne me rendais compte de rien. Je me souviens à peine de leur visite, ils sont restés seulement 10 minutes. Je ne sais même plus combien de chèques j’ai signés, ni leur montant. J’étais en présence d’un notaire, une profession exercée par mon grand-père et mon parrain, synonyme pour moi d’une personne de confiance, d’un représentant de la loi, … Encore une fois, je ne me suis pas posée de questions. Je sais désormais que j’aurais dû… » Caroline découvrira plus tard que les documents signés l’engageaient pour plus de 2 millions d’euros de prêts.

Pendant les trois années qui ont suivi, elle a affaire à Messieurs Mélis et Badache à quatre reprises, pour lui faire signer d’autres emprunts, « d’autres investissements comme ils disaient. Au début, on ne paie que les intérêts, des sommes qui n’étaient donc pas très élevées et qui ne m’ont pas alertée. Moi je n’y connaissais rien, j’étais la cible parfaite, je me suis faite piéger. Monsieur Mélis a vu ma naïveté, ma méconnaissance totale des opérations immobilières et financières, ma faiblesse. Il me parlait comme à une amie, nous échangions plus sur nos familles et nos vies que sur les investissements. Avec son sourire mielleux et ses phrases toutes faites, j’étais noyée dans son blabla, j’étais sous son emprise. ».  Caroline se souvient notamment qu’une fois, elle avait reçu un courrier qui lui était destiné mais dont l’adresse indiquée n’était pas la sienne et qu’elle avait donc jeté à la poubelle sans en prendre connaissance. « Monsieur Mélis m’a appelée et m’a incendiée comme une petite fille, il s’est montré très agressif et rabaissant, au point que je me suis sentie coupable ».

C’est en 2009, lorsque sa petite sœur l’appelle pour lui dire qu’elle a appris aux informations que « Mélis est en prison », qu’elles se rendent compte qu’elles ont été victimes d’une escroquerie. « Je me souviendrai toujours de ce moment, de cette sensation de tomber dans un gouffre, c’est l’anéantissement total. Le cauchemar venait de commencer, et depuis, je n’ai plus fermé l’œil. Si je n’avais pas eu la responsabilité de m’occuper de mes enfants, je ne sais pas si j’aurais eu la force de faire face… ».

Depuis, des saisies sont régulièrement réalisées sur les loyers, sa maison, le mobilier, etc. C’est encore le cas aujourd’hui et Caroline vit avec la crainte permanente que les huissiers viennent chez elle.Cette affaire a également bouleversé son rapport aux autres : « J‘habite à l’écart d’un petit village, dans une maison isolée, je vis comme un ermite. J’ai honte, je me cache. Très peu de personnes sont au courant de ma situation. Mes enfants savent juste que leur maman a été victime d’une escroquerie et qu’elle est très endettée, mais ils ignorent à quel point… Quand ils vivaient encore auprès de moi, je leur avais interdit d’ouvrir la porte en mon absence, par peur que ce soit un huissier. Ils sont grands désormais et ils ont quitté la maison, ce qui me rassure. Ils ne voient pas dans quelle détresse je me trouve. Depuis le début de cette histoire, j’ai coupé les ponts avec une grande partie de mon entourage, je n’ai pas réussi à refaire ma vie et j’ai perdu beaucoup de mes amis. À qui pourrais-je bien raconter cette sombre histoire qui me pourrit l’existence ? Qui pourrait comprendre sans me juger ? »

Caroline plaçait beaucoup d’espoir dans le réquisitoire du procureur, qui a effectivement esquissé la reconnaissance de son statut de victime, mais elle a été très déçue d’apprendre l’absence de poursuites envisagée pour les banques au cœur de cette escroquerie. Elle éprouve un sentiment de trahison à leur encontre. « Des grandes banques, en qui je pensais pouvoir avoir confiance, dont La Caisse d’Epargne, le Crédit Mutuel, le CIC, la Société Générale – qui est ma banque par ailleurs – ont accordé plus d’une quarantaine de prêts à mon nom sans que je le sache ! Pourquoi les magistrats ne comprennent-ils pas que nous avons été abusés ? Il y a une incohérence : d’une part le réquisitoire dit clairement que les documents étaient frauduleux, d’autre part les notaires sont poursuivis pour escroquerie et pourtant les saisies continuent, les banques exigent des remboursements pour des prêts qu’elles ont accordé sans les garanties et procédures de base sur lesquelles elles étaient censé veiller. Je voudrais que la justice fasse valoir le droit et reconnaisse les torts de chacun. Les notaires et les banques n’ont pas fait leur travail, ils n’ont pas respecté les lois et la cupidité de certains a détruit des centaines de vie. »

Dans son combat pour que justice soit enfin rendue, Caroline a pu trouver du soutien auprès de l’association de victimes Asdevilm « On partage notre désarroi et encore, ce mot est faible. Nous voulons juste sortir de cet enfer. Cette histoire a gâché ma vie. Ce n’est pas simplement une question d’argent, mais de dignité. J’ai besoin que ma dignité me soit rendue pour pouvoir à nouveau marcher la tête haute. »

Caroline : prénom modifié.