Témoignage - Pascale Hoffmann

J’ai été victime d’une escroquerie en bande organisée. Ce sont des mots que l’on croit ne pouvoir entendre qu’au JT ou dans une fiction. Et ce sont pourtant des mots qui font désormais partie intégrante de mon quotidien depuis plus de 10 ans.

Depuis 2009, Pascale Hoffmann (veuve Cucuz) et ses 4 enfants âgés de 14 à 25 ans, orphelins de père, vivent dans la tourmente d’un quotidien rendu infernal par l’affaire Apollonia et ses protagonistes : la société immobilière, mais aussi les notaires et les banques impliquées. « Ils ont détruit ma vie, ils l’ont piétinée sans aucune forme de remords et sans une once d’humanité. Quand on se retrouve acculée, sans aucune perspective d’avenir, il n’y a pas de solution intermédiaire : c’est vivre ou mourir. J’ai fait le choix de vivre et de le faire pleinement. Pas parce que je suis plus courageuse qu’une autre, simplement parce que c’était mon devoir, pour toutes les victimes, pour mes enfants, et pour la mémoire de mon défunt mari. »

C’est avec beaucoup d’humilité et une solide détermination que la professeure de médecine en gynécologie obstétrique au CHU Grenoble Alpes a décidé, au nom des plus de 700 victimes de cette affaire, de sortir du silence pour faire la lumière sur la plus grande escroquerie immobilière et bancaire française. « Nous sommes fin 2007 quand feu mon mari puis moi-même entendons parler pour la première fois parler d’Apollonia. À cette époque, nous attendons notre quatrième enfant. Mon défunt conjoint vient d’ouvrir son cabinet de médecine générale et nous nous épanouissons entre une vie familiale bien remplie et notre passion partagée pour nos activités professionnelles. Nous commençons cependant à songer aux projets qui pourraient nous permettre de concilier stabilité financière pour notre famille et possibilité de départ en retraite anticipée pour s’engager dans un projet humanitaire en Afrique, une volonté commune de longue date. »

C’est lors d’une conversation avec un collègue médecin que le mari de Pascale entend parler de placements. « Ce collègue lui a vivement recommandé les prestations de la société Apollonia. Après un premier rendez-vous convaincant, nous signons un acte d’engagement et acceptons de fournir de très nombreux documents permettant d’attester de notre bonne foi et de notre sérieux financier. Dès lors, les rendez-vous s’enchaînent rapidement, à notre domicile le soir, ou sur notre lieu de travail, assortis de la promesse que la société s’occupera de toutes les démarches pour nous faciliter la tâche. Nous finissons par signer des procurations d’achat de biens et des liasses de crédits immobiliers dont le clerc de notaire (qui s’est avéré être un imposteur par la suite) ne nous fournit aucune copie. Dans notre profession, la parole et la confiance sont indispensables et quoi de plus naturel que de faire confiance au Notariat et à l’institution bancaire : ce fut notre grave erreur. Malgré ces pratiques peu communes, nous ne sommes donc pas alarmés outre mesure et continuions à croire au sérieux de cette entreprise ayant déjà séduit de nombreux autres investisseurs médecins comme nous. De plus, Apollonia nous assure qu’en 2017 nous pourrons nous engager dans une ONG, tout en assurant à nos enfants de quoi faire des études. »

Parmi les tous derniers signataires de ces opérations immobilières et financières, Pascale s’indigne aujourd’hui de l’immobilisme et de la complicité des organismes bancaires associés à Apollonia. « Ce qui me met d’autant plus hors de moi, c’est d’avoir eu la preuve que ce montage financier frauduleux était, à l’époque de nos signatures, déjà connu des banques. Elles avaient connaissance de l’empilement de prêts illégaux contractés en dépit des obligations légales d’information et de calcul de solvabilité. Elles sont à ce titre autant responsables que les autres acteurs de cette escroquerie. »

Ce n’est que quelques mois plus tard, à la réception des actes de propriété, que le couple découvre qu’il est le détenteur de 13 biens immobiliers et d’une dette cumulée s’élevant à plus de 3 millions d’euros. Pendant un an environ, les mensualités des crédits sont couvertes par le remboursement de la TVA, utilisé comme appât par Apollonia.

Mais à l’été 2009, l’affaire éclate et le cauchemar commence. « Un jour, un ami, à qui nous avions proposé de bénéficier des services d’Apollonia, m’appelle pour me prévenir que des mises en examen à l’encontre de ses dirigeants ont été annoncées aux informations. En découvrant le pot aux roses, je me souviens avoir senti le sol se dérober sous mes pieds. Nous avons pris contact avec un avocat qui nous a donné la mesure de l’affaire, parlé du nombre des victimes, et nous a soutenus. Les deux premières années n’ont pas été les pires car la plupart des banques impliquées sont restées neutres. Puis les courriers de mise en demeure de certaines banques ont rapidement commencé à arriver, suivis de près par les visites d’huissiers. Nous étions complètement impuissants face à l’ampleur de cette affaire. C’est à ce moment-là que les choses ont basculé. »

C’est avec une vive émotion que Pascale se replonge dans ces souvenirs funestes à l’empreinte indélébile : « Il a commencé à prendre la mesure du problème et à se tenir pour seul responsable de cette situation. Je l’entends encore répéter, rongé par le remord « j’ai mis ma famille dans la merde ». En juin 2011, alors que la situation empirait, Slavko a progressivement perdu le sommeil. Il devait prendre de plus en plus de médicaments pour pouvoir dormir et c’est ce qui a fini par le tuer… ». Retrouvé inanimé par le benjamin de la famille alors adolescent, Slavko Cucuz s’est éteint le 28 juin 2011 à l’âge de 46 ans, des suites d’une overdose de médicaments. Mais pour Pascale, les causes réelles de son décès sont toutes autres : « Perdre son conjoint dans la force de l’âge, avec 4 enfants en bas âge et des projets de vie à peine entamés est un drame dévastateur. Mais cela l’est d’autant plus lorsque les vrais responsables de ce drame restent impunis et profitent de cette mort injuste pour continuer à faire de l’argent ! »

En effet, suite au décès de Slavko, les créanciers de la famille ont perçu des assurances un montant supérieur à la moitié des dettes restantes. Malgré cela, leur posture offensive reste depuis 10 ans inchangée vis-à-vis de Pascale et de ses quatre enfants. « Aujourd’hui je suis censée rembourser entre 15 et 20 000 € par mois. Je suis inscrite au FICP, le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers géré par la Banque de France, et je ne peux plus contracter le moindre crédit. Je dois élever seule mes quatre enfants, et prendre en charge le suivi de ma plus jeune fille handicapée souffrant d’une maladie orpheline. Nous vivons dans la crainte constante des visites d’huissiers – maintenant sur mon lieu de travail –  des saisies sur comptes et autres pratiques de recouvrement de cette dette indue. Les banques sont même allées jusqu’à pratiquer des saisies sur les comptes de mes enfants… ».

Désabusée et épuisée, Pascale a pu tenir face à cette situation grâce à un entourage solide et au courage de sa famille. « Je n’ai pas les mots pour décrire ce qu’ont traversé mes enfants et ce que j’ai enduré. Heureusement, j’ai la chance d’avoir des enfants courageux, battants, et une famille et des proches solidaires. J’ai également été soutenue par l’association ASDEVILM, son président, le responsable de notre groupe Isère et de nombreux témoignages d’amitié de ses membres, et aussi par Maître Gobert, l’avocat du groupe. Ils trouvaient les mots quand le courage me manquait. »

Alors que l’affaire est entre les mains de la justice depuis plus de 10 ans, Pascale n’émet qu’un seul souhait. « Je veux pouvoir mettre derrière nous toute cette période sombre, reprendre le cours d’une vie normale et offrir un avenir serein à mes enfants. Je veux pouvoir me réveiller sans craindre d’entendre un énième huissier frapper à ma porte ou de trouver un acte de saisie dans ma boîte aux lettres. Je veux pouvoir jeter tous ces courriers archivés depuis des années dans un grand placard de mon bureau. Je ne cours pas après l’argent et les compensations financières. Ce qui a été détruit ne pourra jamais être réparé, même avec tout l’argent du monde mon mari ne revivra jamais. Quel est le prix à demander pour une seule larme de mon plus jeune fils, qui pleure son défunt père ? »